Au détour d'un échange épistolaire, une de mes amies littéraires m'apprît que dans certains cénacles, on pratiquait le shibari...
Quelle ne fut pas ma stupeur en demandant à mon colocataire Google des explications à ce sujet. Car, pour moi, shibari était, certes, lié à l'alcôve, mais d'une toute autre manière.
Vous apprécierez le jeu de mots...
Lors de mes pérégrinations nippones, je fus initié aux mystères des Geishas. Reçu par un hôte important, très au fait des usages, qui entourent la venue d'un invité, même un Gaijin, il nous a offert le spectacle de Geishas, pas celles rencontrées dans des officines touristiques de la rue célèbre de Tokyo, mais des vraies, des formées, pour qui la séduction est un art et non un jeu.
Le Japon, comme la Chine, est une terre d'érotisme. Petite Française a écrit un jour une jolie note avec une estampe troublante, qui dira bien mieux que moi, cet attachement à l'érotisme, qui est le cheminement vers le plaisir, tortueux assurément, que choisissent de suivre deux être, pour qui le temps est seulement un prétexte et non une course. Mais comme Petite Française l' a narré, comme pour moi, le désir aussi peut être méandre.
Parmi les pratiques, hormis la cérémonie du thé (ai-je connu une autre fois dans ma vie un spectacle plus érotique que celui-ci ?), il existe la pratique du shibari. Force est de reconnaître qu'elle est plurielle.
Le shibari n'est pas un jeu, ni un rite, ni même une perversion. C'est un instrument sensible, au sens littéral du terme. Il doit, il peut pardon... conduire vers l'abandon de soi, vers le rêve (cadeaux des forces divines aux mortels et communion ultime avec les sens), soigner des humeurs contrariées et évidemment, susciter le désir par son seul spectacle. Car une Geiko en lie une autre pour le plaisir des sens des heureux spectateurs, privilégiés d'entre les privilégiés.
La sortie de la corde, elle-même, acte fallacieusement anodin, est régie par un cérémonial. Chaque pli, chaque reptation effectuée suit un ordre immuable, consacré par les temps passés et par le désir allumé dans les yeux de ceux qui contemplent, et sans doute aussi dans celle qui subit le fil qui se tend en passant par la poitrine, le vagin et entoure la captive comme une bandelette la momie. Prisonnière elle est, non du fil noué, mais des regards, car elle est offerte, non dans sa nudité, peu importante au Japon, car on considère, au contraire, que voir un modeste bout de peau est suffisamment troublant en soi, dans la suggestion et le désir. Car, écrivais-je... elle est offerte au spectacle de son désir ouvert et allumé.
Et cela, cela c'est infiniment troublant, comme cette peau blanchâtre, ce maquillage raffiné, cette soie qui glisse comme une musique sur des peaux parfumées et apprêtées.
Le shibari a donc quitté les paravents pour les donjons et les salons.
Amusante inversion, intéressante perversion occidentales...
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19 commentaires:
Au delà de l'aspect rituel, traditionnel, quand on pense que l'art provient d'une technique de torture à la base... Fort bien relatée, cela dit, cette torture.
@ Succuba : tout désir n'est-il pas torture ? Et encore, j'ai omis le supplice de la bougie...
De quoi entretenir la flamme, si j'ose...
Hum ! Voici encore un de vos textes si joliment tourné... qu'il nous entraine aux méandre de ces cordages délicieux...
Pour avoir vécu en offrande ce délice... je peux dire qu'en effet, ce ne sont point les cordes qui retiennent captive... elles libèrent bien au contraire...
Que cette nouvelle année vous apporte la joie et le désir...
@ Lysis : toujours, ma chère, le bon mot, le mot juste. Une corde qui libère...
Bel oxymoron sensuel.
Merci de vos voeux.
Et que cette année vous les conserve...
L'amusant inversion dans ce billet
c'est vous qui me l'apprenez
puisque j'étais de l'autre côté
Merci de ce passage sur l'autre rive
certes, certes, mais au moyen age, c'etait simplement l'art d'accrocher ses prisoniers, de facon a les faire souffrir, les humilier, tout en gardant un aspect esthetique, parceque, d'un point de vue exterieur ce sont des barbares, mais pourtant un peu si raffiné qu'ils ont elevé l'entrave au rang de discipline artistique ritualisé.
@ Multi-sourires : Il me plaît d'être votre passeur, vous qui avez été ma passeuse sur ce Styx.
@ Perséphone : C'était donc un esthétisme de la souffrance dans ce Japon médiéval. Je l'ignorais... Vous êtes ma pédagogue préférée Perespéphone, sans exagérer.
Les temps ont changé. Torture toujours, mais plaisante à observer ou à subir, selon Lysis, sans exciper de son commentaire ;-)
ayant une fan du japon a la maison, je me documente a fond pour alimenter sa passion. Et je decouvre des choses fort surprenante sur ce peuple longtemps qualifier de "barbare primitif"... Ils en ont toujours ete si loin.
Ravi de vous enseignez. Sourire
@ Perséphone : serait-ce une déformation professionnelle... ;-) Un beau livre d'une journaliste de Libération vient de sortir sur l'érotisme japonais. Elle dispose d'ailleurs d'un blog très célèbre. Le livre est somptueux, à mettre dans des mains... si j'ose avisées...
Merci pour cet article, fort instructif. J'avais, bien sûr, approché le sujet, mais sans m'y attarder vraiment. Un mot me vient à l'esprit: "rituel". Je crois que l'amour, tout au moins l'amour physique, a besoin de rituels. Ils accompagnent la lente montée du désir, du plaisir. Ils apportent esthétisme et érotisme, deux éléments pour moi essentiels. Car si l'amour n'est pas un Art en soi, il est au moins un art de vivre! J'aimerais aussi me pencher quelques instants sur les relations D/S que cela implique parfois: je ne me sens jamais aussi forte que lorsque je m'abandonne; jamais aussi libre que lorsqu'il accroche des liens à mon cou, mes poignets, mes chevilles... vous parlez d'ailleurs de la fascination des "spectateurs"! Il s'agit bien de cela! par l'abandon que l'on offre, on possède aussi! C'est ce que j'appelle ma liberté paradoxale...mais je m'arrête là car je pourrais devenir intarissable!
ne parlez vous point d'agnes Giard ?
j'ai deja le livre. Rire. Et son cher et tendre si je ne me trompe pas est celui qui gere la boutique Demonia, et beaucoup de soiré SM Fetish.
c'est bien d'elle ?
@ Chimère : mais non, ne vous arrêtez-pas...
Continuez, au contraire...
L'étreinte est en effet rituel avant tout. Ce que j'y aime essentiellement, ce sont les rites préparatoires, qui l'encadrent et qui lui donnent son parfum si précieux...
Un pas, après l'autre, sans se presser, sans s'oppresser ou l'oppresser...
A vous...
@ Perspéphone : mais si; mais si assurément...
Quelle femme...
Par contre, j'ignorais tout de son cher et tendre.
Décidément, vraiment, assurément, ma pédagogue préférée vous êtes.
Cher Savinien,
Je suis infiniment flattée de me retrouver dans vos lignes ! Merci.
Je confirme, le shibari était à l'origine une technique d'entrave et de torture, puisque peu à peu la circulation du sang est coupée par les liens qui évidemment ne sont pas disposés ni noués au hasard.
La ritualisation de la réalisation des noeux complexes, donnant l'occasion de multiples effleurements des cordes et des mains, confère désormais sa grande sensualité à cette pratique autrefois "barbare". Sensualité mélant érotisme et esthétique, comme le dit si bien Chimère.
Un lent cérémonial aussi long à mettre en place qu'à défaire.
Ce qu'il ne faut d'ailleurs pas perdre de vue. Ainsi les cordes ne passent jamais autour du cou, au risque d'etouffement si la personne bouge involontairement ou panique.
Il implique une grande confiance entre celle/celui qui s'y soumet et celle/celui qui oeuvre. L'un et l'autre s'isolant peu à peu dans un huit clos, délicate alchimie de concentration et d'abandon.
Expérience intense à vivre, troublante à regarder.
On peut bien sur se limiter aussi à quelques jeux de cordes et de noeuds. Et passer à d'autres choses...
B
@ Petite française : c'est un plaisir de vous citer dans mes modestes lignes chère vous.
Délicate alchimie entre abandon et concentration, oui, tout est dit...
Se limiter à des noeuds et à des cordes ?
Pourquoi se limiter... Le désir se rit des limites et des frontières.
Savinien...
Tsss ! Vous ne m'avez pas comprise. J'aurais peut-être dû écrire : "on peut aussi commencer par quelques jeux de liens avant de passer à d'autres choses".
Commencer, continuer... bref partager et exalter ces moments.
Le désir... oui, vous avez raison.
B
@ Petite française : mea culpa. j'aurais dû me douter. Sot que je fus.
Commencer, continuer, recommencer, débuter, poursuivre, l'étreinte est un palimpseste :), voire une page sans cadres, sans bords...
Le désir et le plaisir sont cheminement, partage et long voyage côte à côte, où le temps se suspend, où le souffle se perd et se coupe, jusqu'à l'explosion de bonheur de deux peaux qui se frôlent.... Le premier peau à peau et deja le plaisir explose et le désir renaît
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