vendredi 5 septembre 2008

Un soir avant un jour

Il meurt des ombres, il naît des nuits
Au long des nuages noircis...

Ainsi parlait le poète.

Je contemple la ville, endormie, du haut de ma terrasse. C'est le temps de l'étreinte et je suis seul. Mon grand lit est vide, la couette américaine, née en Nouvelle-Angleterre, n'abritera pas ce soir des corps rompus. Mon alcôve est déserte et désertée.

Et pourtant, tout est prêt. Je connais tous les sortilèges, tous les artifices.

Je sais choisir le vin idéal, je sais quelles bulles faire mourir dans ton gosier pour que tu deviennes une louve, une courtisane, une odalisque et au final une catin.

J'ai appris, par le Vénitien, l'effet secret des coquilles qui portent un nom de Saint et les vertus de leur jus marin.

Je sais comment te faire pâmer. J'ai su comment faire naître en toi un doux, un fort, un fol vertige, pour que toujours tu me reviennes, pour t'y abandonner avant de m'abandonner, encore une fois... J'ai aimé sous bien des latitudes, y compris dans la lointaine Asie. J'ai aimé dans le désert, j'ai adoré une jeune mariée dans les terres gelées par les grands froids, j'ai aimé sous une kippah, j'ai aimé kosher, j'ai copulé aussi, je l'avoue, sous un rite orthodoxe, là-bas, dans les terres soviétiques.

De l'amour, j'ai connu toutes les géographies et j'en sais bien des histoires. A qui les raconter ?

Sur quelles cartes tracerai-je de ma main usée les chemins, les fleuves, et les vastes plaines qui toujours meurent dans ce delta-là, croqué par Picasso ?

Mais tu n'es pas là. Et tu me manques.

Tu me manques et tu me déchires, par ce silence coupable.

Je sais que dimanche, je te verrai. Ce sera un lieu public.

Il y aura des tableaux, je ne les aime déjà pas, voir ces femmes nues, mortes déjà depuis des siècles, mais encore adulées par des Japonais curieux et flattées par des Parisiens qui se piquent de culture. Je ne suis pas nécrophage. Olympia n'habite pas là. De surcroît... Les madones sont des vierges, elles ne m'attirent pas ces femmes-là. Les nymphettes, les minettes, les déesses, les plantureuses de Rubens ne me font aucun effet. Je serai impuissant dimanche devant ces beautés de vignette, ces femmes à plat.

Oh, certes, devant les lions de Babylone, mon souffle s'arrêtera. Je m'interrogerai encore une fois sur les clous de fondation et me rappellerai ma campagne en Mésopotamie, il y a longtemps déjà, avec ces femmes aux yeux en amande. Mais cela ne t'intéressera pas, alors je le garderai pour moi, encore une fois.

Nous irons alors ensuite boire un verre ou deux, je prendrai ta main, jouerai avec tes lèvres, tes joues deviendront rouges, tes yeux s'allumeront, comme mon désir, mais ce sera en vain.

Tous ces désirs morts avant même d'être tués par toi, mon corps est un cimetière.

Tu seras pourtant si désirable, si séduisante, que je me laisserai abuser, par mes sens et par mes sentiments.

De ce cimetière, une tombe s'ouvrira, mais laquelle ?

Celle où je te raconterai qu'une fois prochaine, je glisserai sur ton sein, le droit, mon préféré, une perle de whisky tourbé. Tu m'as dit un jour en aimer la saveur agricole. Cette note là, tu ne la goûteras que sur mes lèvres, et dans le dessert qui suivra la mi-temps de nos ébats.

Ou ce cénotaphe, d'où je sortirai des voiles noirs pour t'attacher et te faire subir des jeux inventés exprès pour toi et que je tais, comme un inventeur inquiet ?

Peut-être même ce tombeau, celui où j'ai fais chauffer des huiles précieuses, des essences rares ramenées de mes voyages dans l'Asie où l'érotisme est loi et même un droit, pour les répandre sur ton corps et dans le moindre de tes orifices ? Et ensuite, tandis que le feu du désir coulera en toi, appelé par le brasier des huiles mélangées, tu crieras, composera le 18 sur tes lèvres ouvertes, car tes mains seront liées, irrémédiablement. Je laisserai les flammes te consumer, je serai le pyromane de ta douleur infâme à qui je suis lié, comme le forçat à sa chaîne, et puis, quand tu sera presque calcinée de ce feu premier, je viendrai, non pas éteindre (aucun humaniste ne sommeille en moi et je suis pyromane, ECOUTE MOI pour une fois...), mais apaiser tes creux intimes avec le baume dont tu aimes sentir l'écoulement au plus profond de toi... Oui, ce baume là, tu rougis, tu es bouleversée, et tu me dis des mots insensés.

Ou alors, ce monticule, ridicule, car je suis un être ridicule, moins fort que facebook, et dont les miroirs effacent jusqu'à l'ombre, cette pelée de terre, jetée sans précaution, d'où sortiront trois mots, et un, et deux, et trois... mais lesquels ? Je t'aime ? Je te quitte ? Je te désire ? As-tu soif ?

...

Et déjà mon cimetière se renferme, les tombes se scellent jusqu'à la fois prochaine... ou jusqu'à la prochaine fossoyeuse. Mais n'est-ce-pas la même chose ?

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Tant de jolis mots et de belles images pour une si grande tristesse...

Savinien a dit…

@ lyzis : dans mon île, chère Lyzis, la tristesse se pare de beauté pour mieux nous éprouver.

Merci de l'avoir partagée ce moment, elle s'est faite moins pressante.

Anonyme a dit…

Je ne m'imagine pas être fossoyeuse
ni chimère, amante ou envieuse
mais cette lecture m'a émerveillé
cet douceur que vous avez d'aimer

Je prie pour que les vibrations
de vos sens réveille la passion
de celle qui habite vos désirs
et que tout s'achève dans le plaisir

Anonyme a dit…

pourquoi, la beauté sort elle du noir ? Pourquoi la douleur nous fait elle sortir le meilleur de nous ? Peut etre est ce pour cela que je suis maso. L'etes vous aussi ?

Savinien a dit…

@ Perspéphone : Être maso, n'est-ce pas la dernière conduite raisonnable ? La douleur, oui, est matrice du Beau, du Grand et du Puissant en nous. Encore un paradoxe...
@ Multi-sourires :c'est une toile, mon amie, une toile dont je tisse les fils peu à peu, forgés au suc de mes désirs et des terribles et nobles échos qu'elle suscite en moi.