jeudi 11 septembre 2008

Les écrins de prose

Je me souviens de la première fois.

Je quittais le collège, elle devait y rester encore une année.

Elle portait, comme prénom, le nom d'une cité de Toscane. Moi qui goûte peu à l'Italie, cela sonnait comme un défi.

Elle était toute imprégnée de cette origine italienne. Un blond que l'on dit vénitien avait, un jour péninsulaire, trempé ses cheveux. Une blancheur de lait calabrais donnait à sa peau un air de parchemin. Et elle portait un nom de Toscane...

J'étais terrorisé, ce jour-là. Elle, très assurée, sereine car certaine.

Je me souviens de tout, comme si c'était maintenant.

Le canapé, des baisers, des baisers. Et puis, elle se lève, sa main tirant la mienne, nous emmenant dans sa chambre d'enfant. Sa jupe verte, à terre, ses collants noirs qu'elle a gardés, le temps que nous nous sommes restés allongés, pour poursuivre nos baisers, son petit pull noir, son soutien-gorge couleur chair, sa culotte en coton blanc...

Aucune tenue pourtant ne m'a jamais autant bouleversé que celle-là, dépareillée, quotidienne, ordinaire, des écrins de prose, moi qui rêvait, déjà, d'étoffes de poésie. J'aurai dû lui voler ces écrins de prose, pour les garder à jamais, dans un cahier de collège, coincés entre deux pages surchargées d'encre violette.

J'ai... non, nous avons retiré ses collants, un peu humides, à un certain endroit, puis ce morceau de coton, qui l'était beaucoup plus, elle m'a attiré en elle, avec un sourire, qui aujourd'hui encore me brûle le coeur, comme un tison ardent la plaie imposée par la tarentule insulaire.

Je me souviens de cette brûlure, de cet étau, de cette chaleur qui m'a envahi, comme transpercé. Je me souviens avoir pleuré. Je me souviens qu'elle m'a serré plus fort, en se taisant, il est des joies orphelines qui ne demandent que le silence.

Je me souviens de ces yeux emplis de moi, tandis que je la comblais de mon désir pour la première fois rangé, où l'anatomie le prescrit. Je me souviens qu'elle m'a dit "il faut bouger", j'étais comme paralysé par le venin de ses yeux, par le poison de son corps. Elle était vraiment florentine, une vraie Borgia.

Dans mon esprit masculin, j'ai retrouvé la mobilité. Je n'ai jamais su si elle avait du plaisir, le vrai, le souverain. Je me souviens à peine du mien. Etait-ce si important ? Ne devions-nous pas nous contenter de l'étreinte ? Je n'en ai jamais rien su, ni avoir jamais rien lu à ce sujet.

Mais, je me souviens d'après.

Car c'était bien, sur le canapé, à goûter des gâteaux sucrés, en buvant une boisson chocolatée.

L'homme, à peine né, ne veut pas quitter l'enfance.

Et pourtant, ce chocolat ne m'a jamais ramené à ce temps-là, ce temps d'avant, quand j'étais au seuil de sa porte, au seuil de ma naissance masculine, elle, qui était déjà une femme...elle, qui m'a fait homme...

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Je reste sensible à vos larmes
Vous avez touché un peu de mon âme
J'avoue qu'une fois de plus
je suis troublée par votre mise à nu

Il y a des première fois
qu'on veut oublier, croyez moi
Mais des goûts, des vues et odeurs
sont rangés au fond de mon coeur

C'était un jour ou une nuit
vous étiez alors encore petit
mais ce moment là vous a grandit
devenant "Homme" dans votre vie

Je garde un doux sourire
de savoir que vous avez su écrire
mots pour mots ce qui s'est passé
le jour où, Homme avait pleuré

Savinien a dit…

@ Multi-sourires : comme vous l'écrivez si bien...

"des goûts, des vues et des odeurs..." et des larmes salées...

Petite Fr@nçaise a dit…

Témoignage extrêmement touchant et troublant. Il est rare que je sois autant troublée par un homme.

Merci.

B

Savinien a dit…

@ Petite fr@nçaise : ... Là, c'est vous qui me troublez.

Merci de ce frisson-là, à nul autre pareil.

Anonyme a dit…

Que des souvenirs aussi doux sont heureux à revivre...
Vous avez la chance de les avoir conservés... merci de nous les faire partager.

Savinien a dit…

@ Lyzis : il est des heures si belles qu'on les voudrait éternelles... Ne croyez-vous pas ?

Anonyme a dit…

Je ne garde pas de souvenirs... voilà pourquoi j'écris...

Savinien a dit…

@ Lysis : vous, une femme sans... attaches ?

(mémorielles, j'entends ;-))

Ecrire, c'est un peu fixer -le souvenir, et ainsi il reste toujours accessible, non ?

Qu'importe. En écrivant, vous partagez, et cela est tant...

Evanescence a dit…

Je l'ai trouvé... Je l'ai lu... Et une fois de plus, je vous ai aimé à travers ces lignes.
Baiser fugace et caresse éphémère ;)